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Le placement sous surveillance administrative à la fin de la peine d’emprisonnement constitue-t-il une « peine » ? Réponse de la CEDH

Pénal - Procédure pénale, International
22/01/2021
La CEDH affirme que les obligations et restrictions imposées dans le cadre d’une surveillance administrative ne constituaient pas une « peine » et devaient être analysées comme des mesures préventives auxquelles le principe de non-rétroactivité énoncé dans l’article 7 de la Convention n’a pas vocation à s’appliquer. Explications.
Un homme est remis en liberté après avoir été reconnu coupable de meurtre. Il est placé sous surveillance administrative. Il demande une levée anticipée de la mesure. En vain. Elle fut rejetée. Il invoque alors l’article 7 de la Convention (pas de peine sans loi) et allègue que les mesures de surveillance administrative qui lui avaient été imposées constituaient une peine qui n’existait pas au moment des faits.
 
La CEDH, dans une décision du 19 janvier 2021, a donc dû se pencher sur la question de savoir « si les mesures de surveillance administrative appliquées au premier requérant constituaient une « peine » au sens de l’article 7 de la Convention ou bien si elles sortaient du champ d’application de cette disposition ». Elle affirme qu’elle doit demeurer libre d’apprécier elle-même si une mesure particulière s’analyse au fond « en une peine ». 
 
Pour répondre, plusieurs questions. La mesure a-t-elle été imposée à la suite d’une condamnation pour une infraction pénale ? Quid de la nature, de la gravité et du but de la mesure en cause, de sa qualification en droit interne, des procédures associées à son adoption et à son exécution ? La Cour rappelle également qu’elle a établi une distinction entre des mesures poursuivant un but punitif qui constituaient une peine et qui ne pouvaient être appliquées rétroactivement (CEDH, 17 déc. 2009, n° 19359/04) et celles poursuivant un but préventif auxquelles le principe de non-rétroactivité ne s’appliquait pas (CEDH, 3 sept. 2015, n° 42875/10).
 
En l’espèce la Cour note que le placement du requérant sous surveillance administrative sur le fondement d’une décision rendue par un tribunal a eu lieu plusieurs années après sa condamnation pénale. La Cour souligne néanmoins que le placement était lié à la condamnation de l’intéressé et lui faisait suite. Et « conformément à l’article 3 §§ 1 et 2 (alinéa 2) de la loi n° 64‑FZ, toute personne libérée d’un établissement pénitentiaire qui se trouvait en état de condamné en raison d’une condamnation pour une infraction commise en récidive dangereuse ou particulièrement dangereuse se voyait appliquer automatiquement la surveillance administrative ». Au cas d’espèce, le requérant relève de cette catégorie de personnes.
 
Aussi, la base légale du régime de surveillance administrative en droit interne est constituée à l’article 173.1 du Code de l’exécution des sanctions pénales (CESP) qui renvoie aux dispositions de la loi n° 64-FZ pour les modalités d’application. Le CESP relève du domaine pénal et la loi qualifie la surveillance « d’administrative ».
 
La Cour rappelle avoir noté qu’« un même type de mesure peut être qualifié de peine supplémentaire dans un État et de mesure de sûreté dans un autre » (CEDH, 17 déc. 2009, n° 19359/04). Conclusion : la qualification de la mesure litigieuse d’« administrative » dans le droit interne russe ne doit pas automatiquement aboutir à la conclusion de l’inapplicabilité de l’article 7 de la Convention.
 
D’ailleurs, la Cour constitutionnelle et la Cour suprême russe ont considéré que la surveillance administrative ne constituait pas une « peine » au sens de la loi pénale russe mais une mesure de prévention de la délinquance et de prévention personnelle. La CEDH retient également que « l’objectif principal des mesures mises en cause par le premier requérant est d’empêcher la récidive. Lesdites mesures ont donc un but préventif et ne peuvent être regardées comme ayant un caractère répressif et comme constituant une sanction ».
 
Quid de la ressemblance des mesures imposées dans le cadre de la surveillance administrative et celles constituant une peine restrictive de liberté ? La Cour note que pour fixer la peine il faut tenir compte des circonstances aggravantes et atténuantes de la commission de l’infraction et du degré de culpabilité de l’auteur, alors que pour la mise en place de la surveillance administrative, il faut se fonder sur la « dangerosité » de la personne condamnée en état de récidive. « De ce point de vue, cette mesure ne revêt pas un caractère répressif ».
 
Le requérant soulève également que le non-respect éventuel des mesures l’expose à des sanctions administratives, voire pénales. La CEDH note « que les sanctions en cause ne pourront être infligées que dans le cadre d’une procédure judiciaire distincte au cours de laquelle le juge compétent pourra apprécier le caractère fautif ou non du manquement ».
 
Enfin, il conteste la sévérité des mesures. La Cour affirme donc que l’obligation de se présenter à l’autorité compétente et celle de déclarer tout changement d’adresse dans un délai de trois jours ouvré après ledit changement sont contraignantes. D’autant plus que ces obligations sont accompagnées de restrictions dont l’impact sur la vie de l’intéressé est substantiel. « Cependant, la gravité des mesures en cause n’est pas décisive en soi, puisque de nombreuses mesures non pénales de nature préventive peuvent, de même que des mesures devant être qualifiées de peines, avoir un impact substantiel sur la personne concernée ».
 
Conclusion : « À la lumière de l’ensemble de ces considérations, la Cour estime que les obligations et restrictions imposées au premier requérant dans le cadre de la surveillance administrative ne constituaient pas une « peine » au sens de l’article 7 § 1 de la Convention et qu’elles doivent être analysées comme des mesures préventives auxquelles le principe de non-rétroactivité énoncé dans cette disposition n’a pas vocation à s’appliquer » affirme la CEDH.
 
 
Source : Actualités du droit