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Exposé des cas individuels dans l’acte introductif de l’action de groupe et pouvoirs du juge de la mise en état

Civil - Procédure civile et voies d'exécution
29/06/2018
La première chambre civile de la Cour de cassation confirme que l’appréciation de la pertinence des cas individuels exposés dans l’assignation délivrée sur le fondement des articles L. 623-1 et suivants du Code de la consommation est une question qui relève exclusivement d’un débat au fond.
Le 28 octobre 2014, l’association Consommation, Logement et Cadre de Vie (CLCV) assigne une association d’assurés souscriptrice de contrats d’assurance (le souscripteur) et une société d’assurance (l’assureur) aux fins d’obtenir la réparation de divers préjudices subis par un groupe d’adhérents et de bénéficiaires d’un contrat d’assurance sur la vie. L’action de groupe est exercée sur le fondement de l’article L. 423-1 du Code de la consommation, devenu articles L. 623-1 et suivants du même code.

Le souscripteur et l’assureur forment une demande incidente, aux fins d’annulation de l’assignation. Par ordonnance du 8 janvier 2016, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Nanterre rejette les demandes et condamne les demanderesses à l'incident à payer à la CLCV la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Le juge de la mise en état retient notamment que s’il est bien que compétent pour examiner la régularité formelle d'une assignation, il ne lui appartient pas de vérifier la recevabilité de l'action de groupe, ni son bien-fondé, et que la définition du groupe lésé touche le fond du droit. En l’espèce, les conditions formelles de régularité de l'acte introductif d'instance étaient respectées puisque sont visés au moins deux cas individuels et que les textes utiles étaient bien visés et les moyens exposés. Les demandes subsidiaires du souscripteur sont également rejetées, au motif que le juge de la mise en état n'était pas compétent pour circonscrire le groupe et définir les conditions de rattachement à ce dernier.

Le souscripteur et l’assureur interjettent appel le 19 janvier 2016. La cour d’appel de Versailles, le 3 novembre 2016, confirme l’ordonnance (CA Versailles, 3 nov. 2016, RG n° 16/00463). Elle estime que l'examen des assignations ne fait apparaître aucune irrégularité de forme, puisque, ainsi que l'a constaté le juge de la mise en état, les textes fondant la demande y sont visés, les griefs articulés contre les défenderesses de façon suffisante, et plusieurs cas individuels exposés. La demande, suffisamment explicite pour mettre en mesure le souscripteur et l’assureur de se défendre utilement, est illustrée par sept cas individuels comportant, pour chacun, les nom et prénom de l'adhérent, son adresse, le numéro de son contrat et la date d'adhésion, ainsi que l'extrait des conditions générales contenant la stipulation invoquée.
Comme le souligne la cour, « le seul rappel du déroulement de la procédure de cette action spécifique démontre que la pertinence des cas individuels exposés dans l'assignation ne peut être examinée par le juge de la mise en état, puisqu'elle constitue, précisément, l'objet de la première phase de la procédure de cette action, au cours de laquelle le juge (du fond) examine tous les moyens de défense opposés par le professionnel relatifs à la mise en cause de sa responsabilité, à la définition du groupe de consommateurs à l'égard desquels sa responsabilité est engagée, aux critères de rattachement à ce groupe, aux préjudices susceptibles d'être réparés ainsi qu'à leur montant. Ainsi, les arguments relatifs à la diversité des conditions générales applicables, et à l'absence de représentativité des cas exposés constituent des moyens de fond et ne sauraient être examinés dans le cadre de la mise en état ».

L’assureur forme un pourvoi en cassation et fait grief à l’arrêt de rejeter cette demande, alors notamment que les cas individuels choisis par l’association doivent être représentatifs du groupe et des types de cas sur la base desquels l’action est engagée et que méconnaîtrait donc l’étendue de son pouvoir, le juge de la mise en état qui refuse de vérifier que les cas individuels présentés sont représentatifs du groupe. En outre, l’action de groupe ,e pouvant être engagée que pour défendre une pluralité de consommateurs placés dans une situation similaire ou identique, cette condition s’apprécierait au regard, non pas du dommage allégué, mais de la situation de droit liant le consommateur au professionnel assigné.

La première chambre civile rejette le pourvoi. Elle rappelle que « s’il revient au juge de la mise en état de vérifier que l’assignation délivrée sur le fondement de l’article L. 423-1 du Code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2015-1268 du 14 octobre 2015, expose expressément des cas individuels au sens de l’article R. 423-3, devenu R. 623-3 du même code, il ne lui appartient pas d’en apprécier la pertinence ». En l’espèce, « il s’ensuit que la cour d’appel a exactement retenu que l’absence éventuelle de représentativité des cas individuels exposés dans l’assignation arguée de nullité, de même que la diversité des conditions générales des contrats d’assurance applicables à ceux-ci, constituent des moyens sur lesquels le juge de la mise en état ne peut se prononcer ».
Ce faisant, la première chambre civile conforme la position adoptée notamment par la cour d’appel de Paris, qui a considéré, dans le cadre d’une action de groupe en droit de la consommation, que les questions portant sur chacun des cas individuels relèvent d’un débat au fond, en ce qu’elles se rattachent aux conditions de mise en œuvre de la responsabilité du professionnel sur les pouvoirs du juge de la mise en état dans le cadre de l’action de groupe en matière de consommation (CA Paris, 20 avr. 2017, RG n° 16/09997 ; voir not. Javaux B., De la difficulté d’obtenir la nullité de l’assignation en action de groupe, RLDC 2017/154, n° 6388).
On notera que dans le cadre du socle commun aux actions de groupe (créé par D. n° 2017-888, 6 mai 2017, JO 10 mai), en application de la loi dite « J 21 » (L. n° 2016-1547, 18 nov. 2016, JO 19 nov.), l’article 826-4 du Code de procédure civile prévoit de manière comparable, que l'assignation doit exposer expressément, à peine de nullité, les cas individuels présentés par le demandeur au soutien de son action (voir not. Parier S., Le Lamy Code de procédure civile commenté, Commentaires sous art. 826-2, à paraître).
Source : Actualités du droit