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Droit de l'Union, pension de retraite et changement de sexe

Civil - Personnes et famille/patrimoine
02/07/2018
Une personne ayant changé de sexe ne peut pas être contrainte d’annuler son mariage conclu antérieurement à ce changement pour pouvoir bénéficier d’une pension de retraite à l’âge prévu pour les personnes du sexe qu’elle a acquis. Une telle condition constitue une discrimination directe fondée sur le sexe.

La directive de l’Union n° 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en œuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale (JOCE 1979, L 6, p. 24) interdit toute discrimination fondée sur le sexe en matière de prestations sociales, y compris pour les pensions de vieillesse et de retraite. Elle prévoit une exception à cette interdiction en permettant aux États membres d’exclure de son champ d’application la fixation de l’âge de la retraite pour l’octroi de pensions de vieillesse et de retraite. Le Royaume-Uni a fait usage de cette dérogation : ainsi, l’âge de la retraite pour une femme née avant le 6 avril 1950 a été fixé à 60 ans, tandis que celui d’un homme né avant le 6 décembre 1953 a été fixé à 65 ans.
En l’espèce, une personne née en 1948 de sexe masculin s’est mariée avec une femme en 1974. Elle a commencé à vivre en tant que femme en 1991 et a recouru à une opération chirurgicale de conversion sexuelle en 1995. Elle ne dispose toutefois pas d’un certificat de reconnaissance définitif de son changement de sexe, dont l’octroi exigeait, en vertu de la réglementation nationale, l’annulation de son mariage. En outre, avec son épouse, elles souhaitent rester mariées pour des motifs religieux.
En 2008, la requérante a eu 60 ans et a alors demandé à bénéficier d’une pension de retraite de l’État. Cette demande a été rejetée au motif que, en l’absence d’un certificat définitif de reconnaissance de son changement de sexe, elle ne pouvait pas être traitée en tant que femme pour les besoins de la détermination de son âge légal de départ à la retraite. Elle a contesté cette décision devant les juridictions britanniques, affirmant que la disposition selon laquelle elle ne doit pas être mariée est constitutive d’une discrimination contraire au droit de l’Union. La Supreme Court of the United Kingdom (Cour suprême du Royaume Uni) demande alors à la Cour si une telle situation est compatible avec la directive.
Dans son arrêt, la Cour européenne souligne tout d’abord qu’elle n’est pas saisie en l’espèce de la question de savoir si, d’une manière générale, la reconnaissance juridique d’un changement de sexe peut être subordonnée à l’annulation d’un mariage conclu antérieurement au changement de sexe. Toutefois, elle constate que, même si la reconnaissance juridique du changement de sexe et le mariage sont des questions relevant de la compétence des États membres en matière d’état civil, ces derniers doivent respecter le droit de l’Union et, notamment, le principe de non-discrimination lorsqu’ils exercent leur compétence dans ce domaine.
La Cour confirme sa jurisprudence selon laquelle la directive, compte tenu de son objet et de la nature des droits qu’elle vise à protéger, s’applique également aux discriminations qui trouvent leur origine dans le changement de sexe de l’intéressé. À cet égard, elle souligne que, aux fins de l’application de la directive, des personnes ayant vécu pendant une période significative en tant que personnes d’un autre sexe que celui de leur naissance et ayant subi une opération de conversion sexuelle doivent être considérées comme ayant changé de sexe.
La Cour note que la condition selon laquelle le mariage doit être annulé afin qu’une pension de retraite de l’État puisse être accordée à compter de l’âge légal de départ à la retraite des personnes du sexe concerné ne s’applique qu’aux personnes ayant changé de sexe. Elle en conclut que la réglementation britannique accorde un traitement moins favorable à une personne ayant changé de sexe après s’être mariée qu’à une personne ayant conservé son sexe de naissance et étant mariée.
Ensuite, la Cour examine si la situation d’une personne ayant changé de sexe après s’être mariée et celle d’une personne mariée ayant conservé son sexe de naissance sont comparables, une condition qui doit être remplie afin d’établir si une différence de traitement constitue une discrimination directe.
La Cour observe à cet égard que le régime légal de pension de retraite au Royaume-Uni vise à assurer une protection contre le risque de vieillesse en conférant à l’intéressé une pension en fonction des contributions versées au cours de sa carrière professionnelle indépendamment de sa situation matrimoniale. La Cour conclut que, vu cet objet et ces conditions d’octroi, la situation d’une personne ayant changé de sexe après s’être mariée et celle d’une personne mariée ayant conservé son sexe de naissance sont comparables. La Cour précise que le but de la condition d’annulation du mariage (but qui consiste à éviter le mariage entre personnes de même sexe) est étranger au régime de la pension de retraite. Dès lors, ce but n’affecte pas le caractère comparable de la situation des deux catégories de personnes précitées au regard de l’objet et des conditions d’octroi de la pension.
La différence de traitement en cause ne relevant d’aucun des cas de dérogation admis par le droit de l’Union, la Cour juge que la réglementation britannique est constitutive d’une discrimination directe fondée sur le sexe et est, dès lors, interdite par la directive.
 

Source : Actualités du droit