<< Retour aux articles
Image  Emmanuel Macron, Président de la République, lors de la rentrée solennelle de la Cour de cassation

Rentrée solennelle de la Cour de cassation : le divorce entre le parquet et l’exécutif n’aura pas lieu !

Pénal - Procédure pénale
18/01/2018
Le 15 janvier dernier, conformément à la tradition, le président de la République, Emmanuel Macron, a assisté à la première audience de rentrée solennelle de la Cour de cassation suivant son élection. L’occasion de présenter sa vision des réformes de la Justice et surtout d’annoncer une réforme constitutionnelle a minima du statut du parquet.
Bertrand Louvel, Premier président de la Cour de cassation, puis Jean-Claude Marin, Procureur général près la Haute juridiction, ont pris successivement la parole avant de la laisser au président de la République. L’un comme l’autre ont plaidé pour une réelle indépendance du parquet vis-à-vis de l’exécutif. En vain.
 
Débarrasser le parquet français du soupçon et renforcer son rayonnement international
 
« Notre histoire judiciaire a hésité entre les deux rattachements possibles de l’action publique, conçue comme la mise en œuvre des lois intéressant l’ordre public, et en particulier des lois pénales », a rappelé Bertrand Louvel. Soit on considère que l’action publique est l’une des modalités de l’exécution des lois et on rattache en conséquence le ministère public à l’exécutif ; ce fut la conception retenue sous la Révolution. Soit on considère que le ministère public nourrit l’activité judiciaire, et donc s’y rattache et s’y intègre, ce fut la conception retenue lors de la réforme napoléonienne de l’organisation judiciaire.
 
Cette seconde conception qui semble depuis lors prévaloir, doit aboutir à « l’alignement complet du statut des magistrats du siège et de ceux du parquet » a plaidé Bertrand Louvel. D’autant, a-t-il souligné, que « le contexte de la reconstruction internationale, qui appelle les systèmes judiciaires, tout à la fois, à coopérer et à se concurrencer, ne favorise pas les modèles en déficit de transparence, c’est-à-dire d’indépendance, de simplicité et de prévisibilité ».
 
Jean-Claude Marin a renchéri quelques minutes plus tard : les magistrats du parquet « (…) attendent avec impatience d’être enfin débarrassés du soupçon que des réformes inachevées laissent encore planer ». Et d’ajouter : « aujourd’hui, il n’existe ni argument solide justifiant qu’il faille garder un lien entre l’exécutif et le ministère public, ni utilité d’un article 5 de l’ordonnance statutaire (de 1958) qui dispose que les magistrats du parquet sont placés sous l’autorité du garde des Sceaux. Cette dernière disposition n’est plus conforme à l’état de notre institution, n’a plus aucune portée réellement opérationnelle mais, en revanche, demeure le poison du débat sur la place du ministère public ».
 
Leurs éloquents plaidoyers n’ont visiblement pas convaincu le chef de l’État. Après la déception suscitée par la décision du Conseil constitutionnel du 8 décembre dernier qui a jugé conforme à la Constitution l’article 5 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature (Cons. const., 8 déc. 2017, n° 2017-680 QPC ; voir notre article du 8/12/17 : « L’indépendance du parquet continuera de jouer l’Arlésienne »), Emmanuel Macron a tué les derniers espoirs d’une réforme constitutionnelle d’ampleur.
 
A minima, aligner les statuts des magistrats du siège et du parquet
 
Évoquant les diverses évolutions intervenues ces dernières décennies, Emmanuel Macron a déclaré : « Nous devons parachever ce travail mais en nous arrêtant au bon endroit ». Ainsi, il estime que « le parquet à la française se doit d’être rattaché par ses fonctions mêmes au garde des Sceaux », mais qu’il « faut assurer plus fermement, plus clairement son indépendance (…) pleine et entière ».
 
Il souhaite ainsi qu’à l’occasion de la réforme constitutionnelle qui sera portée par la ministre de la Justice, les règles de nomination et de discipline des magistrats du parquet soient alignées sur celles des magistrats du siège :
 
– leur nomination interviendra sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) : une règle déjà observée dans les faits par les différents gardes des Sceaux depuis 2012 ;
– en matière disciplinaire, ils bénéficieront « de la même procédure que leurs collègues juges ».
 
Actuellement il existe deux procédures faisant appel à des formations distinctes et des voies de recours différentes. On rappellera ainsi que pour le siège, c’est la formation du CSM qui décide de la sanction, alors que pour le parquet, la décision revient au garde des Sceaux en raison du lien hiérarchique.
 
Emmanuel Macron a par ailleurs précisé qu’il ne changerait pas la composition du CSM : « Je ne souhaite pas revenir sur les équilibres atteints en 2008 ». « Les compétences pourront être affinées, les modes d’élection des membres revus afin de favoriser pleinement l’ouverture, mais cela ne me paraît pas le sujet prioritaire », a-t-il ajouté.
 
Le Président a également réaffirmé, si besoin était, que le principe posé en 2013, qui interdit au garde des Sceaux de donner des instructions individuelles dans les affaires particulières, « est intangible et sera maintenu ».
 
Supprimer la Cour de justice de la République
 
S’il juge nécessaire de maintenir le lien hiérarchique entre le parquet et la Chancellerie pour permettre, d’une part, à cette dernière de mener la politique pénale du gouvernement et parce que, d’autre part, le gouvernement rend des comptes aux citoyens, Emmanuel Macron souhaite toutefois faire évoluer les rapports entre le judiciaire et l’exécutif et, pour ce faire, engager une réflexion sur la question de la responsabilité ministérielle.
 
D’ores et déjà, il estime que « la Cour de justice de la République ne remplit plus la fonction essentielle de traiter de la responsabilité des ministres » et souhaite, par conséquent, qu’elle soit supprimée et remplacée par un dispositif adapté. Ainsi, dans le cadre d’une réforme globale de notre système (NDLR : politique), s’il s’accorde à dire qu’un ministre doit naturellement, comme chaque citoyen, être jugé pour les actes de sa « vie non ministérielle », il pense que ce même ministre doit légitimement être protégé dans son action quotidienne. Cela passera par une « définition plus précise de ce qu’est la responsabilité ministérielle », qui prenne en compte la spécificité de la fonction de ministre, et non par une cour d’exception.
 
Ces réformes viendront s’ajouter aux chantiers de la justice, également menés par la garde des Sceaux, Nicole Belloubet (sur les chantiers de la justice, voir notre dernier article du 16/01/18 : Chantiers de la justice : mise en état des réformes).
Source : Actualités du droit