LA DONATION D’ŒUVRES D’ART ET SA RÉVOCATION

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Les libéralités constituent une part considérable dans le financement des acquisitions et contribuent chaque année à l’enrichissement des collections de nos musées.

Ainsi, en 2018, 40 % des pièces acquises par le Musée du Louvre ont été données, pour une valeur totale de 2 millions d’euros.

La donation Marc Ladreit de Lacharrière au Musée du quai Branly-Jacques Chirac, une collection de 36 œuvres d’art premier évaluée à plus de 50 millions d’euros, représente plus de 25 fois le budget d’acquisition de l’institution.

L’Etat, bien conscient de l’enrichissement des collections muséales grâce à ce mode d’acquisition a instauré un dispositif fiscal favorable aux donateurs.

Il ne peut être fait de libéralités que par donation entre vifs ou par testament (article 893 du Code civil).
Les dons sont faits du vivant du donateur, alors que les legs ne peuvent être faits qu’après le décès du légateur.
 
Le legs est un acte de disposition post mortem contenu dans un testament par lequel le testateur lègue à une ou plusieurs personnes l’universalité de ses biens (legs universel), une quote-part de ses biens (legs à titre universel) ou un ou plusieurs biens déterminés (legs à titre particulier). 
Le legs est un acte unilatéral de disposition à cause de mort, et à titre gratuit.
Ce testament qu’il soit authentique, olographe, mystique ou secret, est toujours révocable. 

La donation est un contrat soumis, à ce titre, aux conditions de validité du contrat posées par l’article 1128 du code civil et l’article 1162 du code civil, relatifs aux consentements des parties, à leur capacité de contracter, au contenu licite et certain ainsi que la poursuite d’un but conforme à l’ordre public.
En réalisant une donation, le donateur se sépare actuellement et irrévocablement de l’oeuvre.

La donation peut être effectuée par acte authentique notarié qui suppose donc l’existence d’un écrit, ou par la remise matérielle de la chose sans formalité particulière, désigné sous le nom de don manuel.

La donation est très couramment faite en pleine propriété, mais il n’y a pas de difficulté à lui  préférer une donation avec réserve d’usufruit. Le donateur se réserve, dans ce cas, la jouissance du bien pendant un temps déterminé.

Si les associations, les fondations reconnues d’utilité publique, les associations culturelles ainsi que les fonds de dotation peuvent recevoir des donations, ce n’est pas le cas pour les associations simplement déclarées.

Suivant que les libéralités sont faites au profit d’un musée national, d’un musée de France, d’une collectivité publique ou d’un établissement public, l’acceptation du don ou du legs est soumise à une procédure particulière.
Ainsi les donations doivent être acceptées par l’autorité compétente habilitée à recevoir le don. C’est le ministre compétent qui devra statuer par arrêté pour accepter le don ou le legs fait au profit de l’Etat ;  le conseil municipal en cas de dons ou legs faits à la commune; le conseil départemental pour les dons et legs faits au profit des départements et à leurs établissements publics ; et le conseil régional en cas de dons et legs faits aux régions et à leurs établissements publics. 

Les musées s’appliquent à respecter un code de déontologie de l’International Council of Museums (ICOM) et une obligation de vigilance pour s’assurer notamment de l’origine de l’œuvre.

Cette procédure d’acceptation va souvent dépendre du contenu de la donation, et en particulier si elle est assortie de charges.

Quoi de plus naturel, en somme, que de vouloir donner des œuvres d’art à un musée en exigeant qu’elles soient exposées ?

Le donateur ou le légateur désireux de donner ses œuvres d’art à un musée n’en demeure pas moins exigeant quant à leurs conditions d’utilisation. 

Très fréquemment, il va exiger de voir exposées les œuvres données au sein du musée, ou au sein de tel ou tel musée déterminé, ou encore exiger que le musée ou la fondation prenne son nom.

Un donateur avait par exemple demandé que les tableaux soient exposés dans une galerie à son nom, dont il demandait à être nommé conservateur et à en détenir la clef.

L’étendue des charges imposées par le donateur peut vite s’avérer difficile ou impossible à respecter par le bénéficiaire.
Il est par conséquent judicieux d’envisager avec sérieux la négociation des charges avant d’accepter la libéralité. Ceci d’autant plus que l’acceptation est définitive et que le non-respect des charges, ou des conditions stipulées dans la donation ou le testament, n’est pas sans conséquences. 

Peut-on récupérer son bien si le donataire ou le légataire ne respecte pas une clause du contrat  ou une disposition testamentaire?
Par dérogation à la règle de l’irrévocabilité des donations entre vifs, la donation pourra être révoquée pour cause notamment d’inexécution des conditions sous lesquelles elle aura été faite (article 953 du code civil).
L’article 1046 du code civil étend cette règle aux legs.

L’action en révocation de la libéralité peut être intentée par le donateur ou ses héritiers.

L’œuvre d’art a la particularité de donner naissance et de faire coexister plusieurs droits, et les prérogatives de l’action en révocation n’ont pas échappée à cette spécificité.
En présence d’une donation d’une œuvre d’art peut en effet se poser la question de la nature morale ou matérielle de la charge affectée à la libéralité. 

Rappelons que le droit moral comprend le droit à la paternité, le droit à l’intégrité, le droit de divulgation et le droit de repentir.

La Cour de cassation dans un arrêt du 11 février 2019 a récemment eu l’occasion de trancher cette question. Un artiste, Simon Hantaï avait fait donation de quatorze de ses tableaux à une association en indiquant dans une lettre que « ces œuvres ne pourront en aucun cas être revendues et qu’elles ne pourront être utilisées que pour des accrochages ou des expositions à caractère non commercial et non publicitaire ». Après son décès, plus de vingt ans plus tard, lui ont succédé son épouse, devenue usufruitière des droits patrimoniaux d’auteur et leurs cinq enfants. Ces derniers  se virent transmettre, outre  la nue-propriété des droits patrimoniaux d’auteur, le droit moral de l’artiste.
La veuve ayant découvert qu’un des tableaux donnés allait faire l’objet d’une vente aux enchères publiques, a procédé à une saisie-revendication avant la vente, puis a assigné l’association en invoquant la révocation de la donation pour inexécution fautive des charges.
Son action était rejetée en première instance et en appel. Les juges du fond ont considéré que les charges en question ne pouvaient être assimilés à des charges grevant des donations portant sur des biens matériels et relevaient du droit moral de l’artiste. La veuve qui n’était pas titulaire de ce droit moral était dépourvue de qualité à agir et son action n’était pas recevable.
Après avoir rappelé que l’action en révocation peut être intentée par le donateur ou ses héritiers, la Cour de cassation censure cette décision. La donation portait sur des biens corporels et l’action en révocation engagée par la veuve tendait à leur restitution. 

Par conséquent, l’action en révocation d’une œuvre d’art pour inexécution des charges est bel et bien une prérogative patrimoniale transmise, au décès du donateur, à ses héritiers.


Notons que la révocation a effet rétroactif. La libéralité est donc censée n’avoir jamais existé, ce qui impliquera que les biens donnés devront être restitués dans l’état originel.

En outre, le donataire peut aussi voir sa responsabilité engagée et devoir indemniser le préjudice subi en raison de l’inexécution des charges grevant la donation.

Parfois de nouvelles circonstances juridiques, financières ou sociales peuvent conduire le juge à minimiser la gravité de l’inexécution d’une charge.

Le juge a en outre le pouvoir d’alléger, d’adapter la charge grevant la donation, voire même d’autoriser à certaines conditions une aliénation du bien donné.

Tout bénéficiaire peut, dans un délai de 10 ans après la mort du donateur, demander la révision, voire même la suppression des charges. Il faut dans ce cas prouver que des circonstances nouvelles rendent leur exécution impossibles, extrêmement  difficiles ou sérieusement dommageables. 

Pour les donations ou les successions internationales, conformément à la règle du locus regit actum, les lois du « lieu où les actes sont passés » ont vocation à s’appliquer.  Mais l’ouverture de la succession au décès du donateur entrainera la compétence de la loi successorale,  et se posera la question de l’atteinte à la réserve et l’action en réduction des héritiers.

Nadia GHARS 
Avocat à la Cour
Membre de l’Institut Art et Droit
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