<< Retour aux articles
Image  Jean-Luc Mélenchon, candidat de La France insoumise

Présidentielle 2017 – Jean-Luc Mélenchon, candidat de La France insoumise : « Nous sommes contre toute ubérisation du droit »

Pénal - Vie judiciaire
20/04/2017
Hausse du budget de la justice, revalorisation de l’aide juridictionnelle, doublement du nombre de magistrats sur la durée du quinquennat, création d’un Haut Conseil de la justice… Le candidat de La France insoumise détaille, pour Actualités du droit, ses propositions en matière de justice.
Actualités du droit : Pensez-vous augmenter le budget du ministère de la Justice, un des plus mal lotis en Europe, pour améliorer le fonctionnement de ce service public ?

Jean-Luc Mélenchon : Il s'agit du premier problème que nous aurons à régler : la clochardisation matérielle de l'institution judiciaire rendent vaines toutes propositions d'amélioration qualitative du service rendu aux justiciables. La France a accumulé un retard considérable sur ce plan par rapport aux autres pays de l'Union européenne. Nous le comblerons par une loi de programmation budgétaire sur 5 ans et à la fin du quinquennat, nous aurons augmenté le budget global (6,9 milliards d'euros pour 2017) de 2,5 milliards.

AdD : Quelles sont vos propositions pour améliorer l’aide juridictionnelle, gage d’accès à la justice pour de nombreux citoyens ?

J.-L. M. : Nous prévoyons non seulement de revaloriser l'aide juridictionnelle, mais également de l'étendre à des champs qui aujourd'hui y échappent : par exemple à la phase pré-contentieuse de médiation (que nous développerons), à l'intervention des avocat(e)s aujourd'hui bénévoles dans les centre départementaux d'accès au droit ou les Maisons de justice et du droit, à l'exécution des décisions de justice par la voie d'huissier, etc.
 
AdD : Quelles mesures envisagez-vous de prendre pour désengorger les juridictions ? Comptez-vous augmenter le nombre de magistrats recrutés chaque année, notamment en facilitant les passerelles entre les professions d’avocat et de magistrat, et accélérer le mouvement de déjudiciarisation de certaines procédures, à l’image du divorce par consentement mutuel ?

J.-L. M. : Nous prévoyons de doubler sur 5 ans le nombre de magistrats (actuellement au nombre de 8 600 en juridiction) et de recruter en parallèle 10 000 fonctionnaires de justice. Il est possible de le faire assez rapidement par l'organisation de deux ou trois concours de recrutement par an (comme cela a pu être le cas dans les années 1980) et en facilitant l'intégration, notamment des avocats, déjà largement formés. Nous sommes attachés au monopole public de l'œuvre de justice. Les modes alternatifs de règlement des litiges comme l'arbitrage ont montré leurs limites et les dérives possibles comme dans l'affaire Tapie. Nous sommes contre toute ubérisation du droit : la justice n'est pas une marchandise ! Ceux qui proposent la dématérialisation des procédures comme réponse centrale aux problèmes de moyens sont dans le cosmétique : c'est oublier que tout acte de justice digne d'un État de droit est le fruit d'un processus nécessitant des garanties fortes (principe du contradictoire, appréciation in concreto, voies de recours, office du juge pour faire respecter les droits de chacun, etc.). C'est pourquoi aussi, sauf à la marge, la déjudiciarisation n'est pas une solution selon nous.
 
AdD : Comptez-vous enfin réformer le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) de manière à garantir l’indépendance des magistrats du parquet vis-à-vis de l’exécutif ?

J.-L. M. : Les suspicions de dépendance et d'instrumentalisation sont mortifères pour notre institution judiciaire. Le sentiment se répand d'une justice à plusieurs vitesses. Pour en finir avec ces suspicions, nous proposons la création d'un Haut Conseil à la justice qui exercerait les prérogatives de l'actuel CSM et de la Direction des services judiciaires (nominations, avancement, discipline). Dans ce nouveau Conseil, les magistrats seraient minoritaires et y siégeraient des représentants de toutes les autres professions du droit, ainsi que, pour garantir un regard citoyen, des associations d'aide aux victimes ou de lutte contre les discriminations. Ce Conseil n'aurait plus de lien avec l'exécutif, mais serait responsable devant le Parlement.
L'indépendance serait garantie par ce Haut Conseil à la Justice à tous les magistrats, du siège comme du parquet. Il faudra dans ce cadre envisager la suppression des procureurs généraux, sortes de préfets judiciaires aujourd'hui nommés en Conseil des ministres, car le Haut Conseil serait le garant du bon fonctionnement de l'institution. Cette coupure des liens avec l'exécutif est à comprendre dans le cadre de la VIe République que nous voulons construire par l'élection d'une assemblée constituante.
 
AdD : Quelles mesures prévoyez-vous de mettre en place pour réduire la population carcérale et mieux prévenir la récidive, plus particulièrement des jeunes délinquants ?

 J.-L. M. : Nous sommes le seul mouvement politique en capacité de gagner à vouloir rompre avec le tout-carcéral. Nous n'envisageons pas de créer des places de prison supplémentaires. La population carcérale est passée de 50 000 personnes en 2002 à 70 000 aujourd'hui. Pour quel résultat ? Les courtes peines sont particulièrement pourvoyeuses de récidive par leur effet désocialisant. Il faut un plan ambitieux en faveur des services pénitentiaires d'insertion et de probation, en leur permettant de resserrer leurs liens avec les dispositifs de droit commun, développer les peines alternatives. Il faudra revoir les lois régissant les comparutions immédiates ainsi que les seuils de placement en détention provisoire pour les rendre plus rares.Il faut reconstruire le service public de la protection judiciaire de la jeunesse, notamment dans ses missions de suivi en milieu ouvert. Ce service a été en effet largement sacrifié sur l'autel de l'austérité budgétaire, de même que les services de prévention spécialisée. Il faut permettre à nouveau une protection judiciaire civile des jeunes jusqu'à 21 ans. Nos propositions visant à repenser les missions de police et les moyens d'intervention, tournant le dos à la politique du chiffre, au profit d'une police de proximité orientée vers le règlement fin des conflits, et la prévention sont très importantes pour empêcher les passages à l'acte délinquants.
Enfin, nous proposons une légalisation du cannabis, avec un monopole du contrôle par l'État de la vente de ce produit, ce qui tarira une bonne partie du trafic, donc des procédures policières et judiciaires de peu d'envergure en la matière qui participent de l'engorgement des tribunaux.

Propos recueillis par Stéphanie Pourtau
Source : Actualités du droit