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Visioconférence pour les audiences de la chambre de l'instruction relatives au contentieux de la détention provisoire et atteinte aux droits de la défense

Pénal - Procédure pénale
20/09/2019
Le Conseil constitutionnel déclare l’inconstitutionnalité des dispositions permettant de recourir à la visioconférence, sans consentement de la personne placée en détention provisoire, au cours de l'examen des demandes de mise en liberté dont est saisie directement la chambre de l'instruction. Un coup pour rien néanmoins, en raison de la modulation dans le temps de l’effet de la déclaration d’inconstitutionnalité ?
Saisi sur question prioritaire de constitutionnalité (QPC) renvoyée par la Chambre criminelle de la Cour de cassation (Cass. crim., 26 juin 2019, n° 19-82.733, à paraître), le Conseil constitutionnel se prononce sur la conformité de l’alinéa 3 de l’article 706-71 du Code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance du 1er décembre 2016 relative à la décision d'enquête européenne en matière pénale (Ord. n° 2016-1636, 1er déc. 2016, JO 2 déc.).

L'article 706-71 du Code de procédure pénale, dans cette rédaction, fixe les conditions de recours à des moyens de télécommunication audiovisuelle dans le cadre d'une procédure pénale. Spécifiquement, lorsqu'il s'agit d'une audience au cours de laquelle il doit être statué sur le placement en détention provisoire ou la prolongation de la détention provisoire, la personne détenue peut, lorsqu'elle est informée de la date de l'audience et du fait que le recours à ce moyen est envisagé, refuser l'utilisation d'un moyen de télécommunication audiovisuelle, sauf si son transport paraît devoir être évité en raison des risques graves de trouble à l'ordre public ou d'évasion. Les dispositions contestées fixent ainsi les conditions dans lesquelles il peut être recouru à un moyen de télécommunication audiovisuelle pour les audiences de la chambre de l'instruction relatives au contentieux de la détention provisoire.

Devant la Cour de cassation, la QPC avait été ainsi formulée : « Les dispositions de l'article 706-71, alinéa 3 du Code de procédure pénale en tant qu'elles permettent le recours à un moyen de télécommunication audiovisuelle lors des audiences relatives au contentieux de la détention provisoire devant la chambre de l'instruction, sans faculté d'opposition pour le détenu lorsque le contentieux porte sur une demande de mise en liberté, sont-elles conformes aux articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et à l'article 34 de la Constitution ? ».

La Chambre criminelle avait alors estimé que la question présentait un caractère sérieux :
  • d’une part, en ce que le Conseil constitutionnel a considéré dans sa décision du 21 mars 2019 (Cons. const., 21 mars 2019, n° 2019-778 DC, JO 24 mars), censurant les dispositions de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (qui supprimaient initialement l'obligation de recueillir l'accord de l'intéressé pour recourir à la visio-conférence dans les débats relatifs à la prolongation d'une mesure de détention provisoire), que, eu égard à l'importance de la garantie qui s'attache à la présentation physique de l'intéressé devant le magistrat ou la juridiction compétent dans le cadre d'une procédure de détention provisoire, et en l'état des conditions dans lesquelles s'exerce un tel recours à ces moyens de télécommunication, les dispositions contestées portaient une atteinte excessive aux droits de la défense ;
  • d’autre part, en ce que ce raisonnement, exprimé en termes généraux, est susceptible de s'appliquer à d'autres aspects du contentieux de la détention provisoire, et notamment à l'examen des demandes de mise en liberté dont est saisie directement la chambre de l'instruction.
 
Le requérant faisait valoir, devant le Conseil constitutionnel, que faute de prévoir que le détenu qui a déposé une demande de mise en liberté puisse s'opposer à ce que son audition devant la chambre de l'instruction ait lieu par visioconférence, les dispositions de l'article 706-71 du Code de procédure pénale porteraient atteinte aux droits de la défense et au droit, en matière de détention provisoire, de comparaître physiquement devant son juge. Il faisait également valoir que les garanties encadrant le recours à la visioconférence seraient insuffisantes. Il soutenait aussi que lle texte méconnaîtrait le principe d'égalité devant la loi et l'article 34 de la Constitution, en raison de l'absence de critères précis permettant de déterminer les cas dans lesquels le recours à la visioconférence peut être imposé à la personne détenue. Par ailleurs, certains intervenants reprochent à ces dispositions de méconnaître le droit à un recours juridictionnel effectif, le principe d'égalité devant la justice et l'indépendance de l'autorité judiciaire.
 
 
Après avoir estimé que la QPC porte sur les mots « la chambre de l'instruction » figurant à la première phrase du troisième alinéa de l'article 706-71 du Code de procédure pénale, le Conseil constitutionnel reprend les termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qui garantit notamment les droits de la défense.

En premier lieu, le Conseil constitutionnel rappelle les dispositions des articles 148 et 199 du Code de procédure pénale. Selon le premier de ces textes, une personne placée en détention provisoire peut demander sa mise en liberté à tout moment. La chambre de l'instruction peut être saisie d'une telle demande soit par voie d'appel, soit directement, si le juge des libertés et de la détention saisi de la demande n'a pas statué dans le délai qui lui était imparti ou si la personne détenue n'a pas été entendue depuis plus de quatre mois par le juge d'instruction. Conformément au second texte, lorsque la chambre de l'instruction est ainsi saisie, la comparution personnelle de l'intéressé est de droit s'il le demande.
Il en découle que la chambre de l'instruction est susceptible d'être saisie, par une même personne, de nombreuses demandes de mise en liberté successives, accompagnées d'une demande de comparution personnelle, qui impliquent alors l'organisation d'autant d'extractions de l'intéressé lorsqu'il n'est pas recouru à un moyen de télécommunication audiovisuelle.
Il souligne ensuite que si le sixième alinéa de l'article 199 permet au président de la chambre de l'instruction, saisie en appel, de refuser cette comparution, lorsque l'intéressé a déjà comparu personnellement devant cette chambre moins de quatre mois auparavant, il s'agit d'une simple faculté à laquelle le président peut renoncer s'il estime nécessaire d'entendre la personne détenue, notamment par un moyen de télécommunication audiovisuelle.
Dès lors, en prévoyant que, lorsque l'audience porte sur une demande de mise en liberté, l'intéressé ne peut s'opposer au recours à un moyen de télécommunication audiovisuelle, les dispositions contestées visent à éviter les difficultés et les coûts occasionnés par les extractions judiciaires. Elles contribuent ainsi à la bonne administration de la justice et au bon usage des deniers publics.

En second lieu, le Conseil constitutionnel relève trois points :
  • la décision de recourir ou non à un moyen de télécommunication audiovisuelle pour assurer la comparution personnelle de la personne qui a formé une demande de mise en liberté appartient au juge. Celui-ci peut donc toujours privilégier la comparution physique de l'intéressé devant lui s'il l'estime nécessaire ;
  • en vertu de l'article 706-71 du Code de procédure pénale, en cas de recours à un tel moyen, l'avocat de la personne placée en détention provisoire, comme l'interprète, choisit de se trouver auprès de la juridiction ou auprès de l'intéressé : dans le premier cas, l'avocat doit pouvoir s'entretenir avec ce dernier, de façon confidentielle, en utilisant le même procédé audiovisuel ; dans le second cas, une copie de l'intégralité du dossier est mise à sa disposition dans les locaux de détention sauf si une copie lui en a déjà été remise. Par ailleurs, la communication doit se tenir dans des conditions qui garantissent le droit de la personne à présenter elle-même ses observations ;
  • en dehors des cas où le transport de la personne détenue paraît devoir être évité en raison de risques graves de troubles à l'ordre public ou d'évasion, l'intéressé a le droit de s'opposer au recours à un moyen de télécommunication audiovisuelle lorsqu'il est statué sur son placement en détention provisoire ou sur la prolongation de cette détention. Cette faculté lui garantit donc la possibilité d'être présenté physiquement devant la chambre de l'instruction appelée à statuer sur sa détention provisoire, dès le début de sa détention, puis à intervalles réguliers, tous les quatre mois en matière délictuelle et tous les six mois en matière criminelle, à chaque prolongation de celle-ci.
Mais il est vrai que par exception, en matière criminelle (C. pr. pén., art. 145-2), la première prolongation de la détention provisoire peut n'intervenir qu'à l'issue d'une durée d'une année. Il en résulte qu'une personne placée en détention provisoire pourrait se voir privée, pendant une année entière, de la possibilité de comparaître physiquement devant le juge appelé à statuer sur la détention provisoire.

Pour ce motif, eu égard à l'importance de la garantie qui s'attache à la présentation physique de l'intéressé devant la juridiction compétente pour connaître de la détention provisoire et en l'état des conditions dans lesquelles s'exerce le recours à ces moyens de télécommunication, les dispositions contestées portent une atteinte excessive aux droits de la défense. Sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres griefs, les dispositions contestées doivent être déclarées contraires à la Constitution.
 
Sur les effets de cette décision dans le temps, le Conseil constitutionnel rappelle qu’il est de principe que la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la QPC et que la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
Dans ce cadre, le Conseil constitutionnel constate que les dispositions déclarées contraires à la Constitution, dans leur rédaction contestée, ne sont plus en vigueur. Il estime en outre que la remise en cause des mesures ayant été prises sur le fondement des dispositions déclarées contraires à la Constitution méconnaîtrait les objectifs de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions et aurait ainsi des conséquences manifestement excessives. Par suite, ces mesures ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.
Source : Actualités du droit