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Image  Par Margaux Ramos-Darmendrail, étudiante du Master Droit et régulation des marchés de l’Université Paris-Dauphine

Soupçons de favoritisme dans l’attribution du contrat de maintenance de l’application StopCovid : Anticor alerte le Parquet national financier

Public - Droit public des affaires
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Affaires - Pénal des affaires
25/06/2020
Les révélations du journal L’Obs(1) sur le coût de l’hébergement et de la maintenance de l’application StopCovid ont amené l’association française Anticor, engagée pour l’éthique en politique et dans la lutte contre la corruption, à déposer, le 10 juin 2020, un signalement auprès du Procureur de la République financier.
Rédigé sous la direction de Claudie Boiteau, en partenariat avec le Master Droit et régulation des marchés de l’Université Paris-Dauphine

 
Une application développée gratuitement par des partenaires publics et privés
 
L’application a été lancée officiellement le mardi 2 juin 2020, après que l’Assemblée nationale et le Sénat se soient prononcés en faveur de son déploiement. Son objectif, selon le site du gouvernement, est de : « prévenir les personnes qui ont été à proximité d’une personne testée positive, afin que celles-ci puissent être prises en charge le plus tôt possible, le tout sans jamais sacrifier nos libertés individuelles »(2).

La perspective du développement d’une telle application avait fait l’objet d’une certaine méfiance quant aux partenaires qui pourraient être associés au projet. Cédric O, Secrétaire d’État au numérique, avait pourtant assuré que l’application serait développée gratuitement : le processus a réuni plus de 130 chercheurs, des start-ups mais également des grands groupes comme Capgemini, Dassault Systèmes ou encore Orange. Sous la direction de l’Institut national de recherche en informatique et en automatique, qui a piloté le projet, ces acteurs privés et publics ont travaillé pro bono, c’est-à-dire sans facturer leurs services.
 
Un contrat d’hébergement et de maintenance attribué sans appel d’offres à une filiale de Dassault Systèmes
 
Ce n’est pas le coût du développement de l’application qui fait l’objet du signalement d’Anticor mais plutôt celui de son hébergement et de sa maintenance. Selon une foire aux questions du gouvernement(3) dédiée à StopCovid, l’hébergement du serveur de l’application sera pris en charge par Outscale, une filiale de Dassault Systèmes, spécialisée dans le cloud, c’est-à-dire l’hébergement de données à distance. Cette information, publiée sur Internet par le gouvernement lui-même, est primordiale puisqu’en réalité, confier l’hébergement de cette application à une entreprise revient à attribuer un marché public de fournitures et de services. Or, le gouvernement est tenu de procéder à un appel d’offres dès lors que le marché est d’une valeur supérieure à 139 000 euros hors taxes (CCP, art. R. 2124-1 et CCP, annexe 2).
 
C’est un article de L’Obs citant, le 2 juin, une « source bien informée, au fait des négociations en cours avec les partenaires privés », qui a révélé que le coût d’hébergement et de maintenance de l’application était de l’ordre de 200 000 à 300 000 euros par mois, facturés par Outscale. C’est suite à cet article qu’Anticor a saisi le Parquet national financier, compétent notamment en matière d’atteintes à la probité (corruption, trafic d'influence, favoritisme, etc.). Selon le site internet de l’association, « Anticor considère que pour des marchés publics portant sur des montant aussi importants, la mise en concurrence était obligatoire »(4).

Si le Secrétaire d’État avait déclaré, en mai, qu’il « n’y a pas d’enjeu de coût financier (…) parce que la santé n’a pas de prix »(5), les marchés publics, eux, en ont bien un et les règles de la commande publique imposent aux acteurs publics de recourir à des procédures spécifiques pour assurer le respect de la liberté d’accès à la commande publique, l’égalité de traitement des candidats et la transparence des procédures(6).

Un manquement aux règles applicables à la passation des marchés publics
 
Contacté par le journal Le Parisien suite à ce signalement, Cédric O a précisé que le coût serait plus faible : il évoque plutôt une facture de l’ordre de 100 000 euros mensuels, tout en promettant « de faire bientôt toute la transparence sur les contrats liés à l’application »(7). Cependant, même dans l’hypothèse où la facturation mensuelle serait de cet ordre, le recours à un appel d’offres était obligatoire. En effet, l’application a vocation à être déployée sur plusieurs mois : ainsi, le seuil de 139 000 euros serait atteint dès le deuxième mois de facturation. Un tel contrat de maintenance est, par nature, un contrat ayant vocation à être renouvelé : son montant doit être calculé de manière globale et non mensuelle.
 
De plus, même en l’absence d’obligation de recourir à un appel d’offres, les pouvoirs adjudicateurs doivent, lors de l’attribution d’un contrat public, respecter les principes fondamentaux de la commande publique ; or, l’attribution du contrat en question s’est faite dans des conditions opaques, sans que le gouvernement ne communique officiellement sur l’attributaire du marché (celui-ci a été révélé via une foire aux questions).
 
La possible invocation de l’urgence pour justifier un tel manquement
 
Enfin, le gouvernement pourrait invoquer l’urgence puisque le Code de la commande publique autorise la passation d’un marché sans publicité ni mise en concurrence lorsqu’une urgence impérieuse ne permet pas de respecter les délais minimaux exigés par les procédures formalisées. Tel est notamment le cas des marchés passés pour faire face à des dangers sanitaires(8). On peut toutefois s’interroger sur la question de savoir si un contrat de maintenance d’une application mobile peut réellement être qualifié de marché passé « pour faire face à des dangers sanitaires ». Il est très probable que la question soit résolue prochainement par le Conseil d’État, si celui-ci est saisi d’un recours contentieux.
 
Dans l’hypothèse où le manquement serait retenu, le Parquet national financier pourrait ouvrir une enquête pour favoritisme. Pour rappel, le délit de favoritisme, ou d'octroi d'avantage injustifié, peut être constitué lors de l’utilisation par un pouvoir adjudicateur d’une procédure de passation irrégulière, et, a fortiori, en l’absence de procédure de passation. Ce délit, prévu par l’article 432-14 du code pénal, est puni de deux ans d'emprisonnement et de 200 000 euros d'amende.

Margaux Ramos-Darmendrail
 

(1) StopCovid, une application au coût salé, L’Obs, 2 juin 2020
(2) www.economie.gouv.fr/stopcovid#
(3) www.economie.gouv.fr/stopcovid-faq
(4) www.anticor.org/2020/06/12/application-stopcovid-anticor-saisit-le-parquet-national-financier/
(5) Cédric O sur StopCovid : « Mieux vaut alerter trop de personnes que pas assez », L’Obs, 27 mai 2020
(6) Article L. 3 du code de la commande publique
(7) StopCovid : à quoi va ressembler la facture de l’appli anti-épidémie ?, Le Parisien, 8 juin 2020
(8) Article R. 2122-1 du code de la commande publique
 
Source : Actualités du droit